L’aiguille du Peigne, bien connue des grimpeurs de granite, est défendue sur son versant Ouest par un petit glacier recouvert d’un névé persistant. C’est l’endroit qu’a choisi notre héroïne d’un jour pour prendre la peau d’un personnage qui pourrait figurer dans le roman « le port de la mer de glace ».
Voici une dizaine d’année, en une fin d’été orageuse, nous fûmes alertés par un professionnel de la montagne. Ce dernier s’inquiétait de voir une jeune femme en tenue de ville, chaussée de bottes, tenter de gravir les vires situées au-dessus du fameux névé. Il pensait à juste titre que celle-ci allait finir par se dérocher.
N’ayant pas pris la mesure du problème, Seb et moi arrivons comme souvent en hélicoptère, loin d’être discrets nous sommes déposés quinze mètres en aval de notre héroïne. Une fois le silence revenu, nous tentons de rentrer en contact verbalement avec cette dernière. A toutes nos questions, point de réponse. Nous tentons alors de nous approcher, mais comme l’aurait fait un bouquetin lorsque l’on pénètre dans son périmètre de sécurité, elle se raidit tout à coup et s’exclame en disant : « Si vous approchez, je saute ! Je ne peux pas vous parler, vous n’êtes pas mon maître !». Ici les emblématiques « maitres » des lieux s’appellent Comtamine, Vaucher, Piola, Mettefeu, de quel maître voulait-elle parler ? Serait-ce un gourou qui exerce une emprise sur elle ? Il manque un maillon pour comprendre ce mystère.
Respectant cette distance nous nous interrogeons impuissants. Agacés par de longues minutes de mutisme total, nous tentons de grimper, l’air de rien. Et là, stupeur, la fille saute, glisse sur des dalles et finit sa course dans la rimaye. Nous descendons jusqu’au bord de la glace et penchons notre tête pour constater les dégâts. Dans la pénombre nous distinguons deux yeux blancs sur le visage de cette femme de couleur. Insensible aux écorchures elle se trouve désormais à cinq mètres de profondeur, sur le ventre, mouillée par l’eau de fonte, elle s’agrippe avec ses mains sur la dalle ruisselante. Alors que nous demandons par radio le renfort du doc François, elle nous crie : « si vous approchez, je me laisse glisser. » Le doc tente à son tour d’établir le dialogue mais rapidement nous informe : « Il faut aller la chercher, elle est complètement barjot !!! ». C’est le moment que la jeune femme choisit pour se laisser glisser et disparaitre ainsi de notre vue. A cet instant, nous n’avons plus de contact, ni visuel, ni vocal. L’espace entre le rocher et la glace est extrêmement réduit. C’est un grand moment de doute.
Nous pensons alors à solliciter les solides gaillards chargés de tailler la grotte de la mer de glace. Arrivés sur place, ils n’eurent pas besoin d’ouvrir leurs deux caisses de matériels car forts de leur expérience ils constatèrent : « Vous n’y pensez pas les gars, il y en a pour deux jours de boulot, elle sera morte gelée d’ici là.»
D’autres secouristes sont arrivés, dont B.J équipé d’une tenue imperméable. Il propose au doc de descendre avec lui dans ce laminoir obscur. François, qui d’habitude n’a peur de rien et est plutôt du style ‘’casse-cou’’ se montre peu enthousiaste. Le binôme s’engage pourtant dans l’aventure, retenu par la corde, une seringue dans la poche. Après dix-huit mètres de reptation, il ne fait aucun doute que le contact vient d’être rétabli. En effet, B.J vient de se faire mordre à l’avant- bras par notre héroïne qui n’a pas reconnu en lui, son maitre. Fou de colère, il nous somme par radio de tirer sur la laisse ou plutôt la corde, au bout de laquelle il vient d’attacher la malheureuse. Celle-ci ne peut résister à la traction et se laisse remonter au grand jour.
Là, François l’examine. Elle est trempée, couverte d’ecchymoses, mais sans blessure grave apparente. Nous l’allongeons dans une civière alors que l’orage gronde. Elle est transportée en hélicoptère à l’hôpital de CHAMONIX. Un grand bravo à B.J.
Max